Le constat est triste, mais la situation plutôt réaliste. S’il existe un domaine très solitaire, c’est bien le monde de la photo. Paradoxalement, les meilleurs moments sont ceux que l’on partage avec d’autres personnes.
Mais pourquoi la photo impose-t-elle une certaine solitude ? Est-on toujours obligé de vivre dans sa propre bulle photographique ? L’égoïsme est-il fonction du niveau photographique ?
Au départ, toute personne qui s’intéresse à la photo, fait en sorte de s’associer à d’autres personnes pour progresser. Cela passe par des inscriptions dans des clubs photo, des visites sur des forums photo (en voici un excellent : http://photo.forumperso.com/) ou des solutions payantes pour apprendre la photo avec un coach (qui font un carton en ce moment). On aime ce contact avec les autres tout autant qu’il nous est profitable pour évoluer.
Ensuite, au fur et à mesure de la progression, on ressent moins le besoin d’être « soutenu » par d’autres personnes. On cherche à creuser son propre chemin. Ce qui est à la fois une bonne chose et une mauvaise. C’est bien, parce que c’est le signe qu’on se cherche un style et des affinités pour créer sa propre identité. Mais c’est une mauvaise chose, parce qu’on se coupe aussi des influences extérieures et de ce qu’elles peuvent nous apporter.
A partir de cette étape charnière, le photographe commence à devenir un peu « parano ». Il partage encore des infos avec son entourage, mais avec parcimonie. A l’instar du magicien qui défend le secret de ses tours de magie, le photographe ne veut pas dévoiler la face cachée de ses prises de vue.
Moi-même, qui ne supporte pas l’élitisme et l’indifférence, je suis aussi un peu atteint par cette « maladie ». A mes débuts, j’ai pesté de nombreuses fois après des photographes à qui je laissais des mails, sans qu’ils prennent la peine de me répondre. Du coup, je m’impose de donner une réponse à tous ceux qui me contactent par le biais de mon site, même si je reçois parfois des mails assez farfelus.
Même avec ce souci de rendre service, je conserve un certain nombre d’informations pour moi. Souvent, on me demande comment j’ai eu telle ou telle accréditation et à qui je me suis adressé. On me demande aussi à quel endroit précis j’ai posé mon affût pour photographier un martin-pêcheur, à quel endroit j’ai rencontré des marmottes, etc…
En général, j’adapte ma réponse à la personne, le tout sans mentir car ce serait malhonnête de ma part. Cependant, j’oublie souvent quelques détails et je peux rester très imprécis. J’ai même parfois des trous de mémoire qui inquiètent fortement mon interlocuteur. 😆
Pourquoi cette « parano »? Si je donne mes contacts pour les accréditations, les autres photographes vont logiquement faire aussi leurs demandes et cela peut me faire du tort vis-à-vis des organisateurs. Ou pire, on me dira qu’il n’y a plus de place pour moi au bord du terrain parce que tout est déjà complet. J’ai peur d’arriver avec mon affût à 6h du matin et de voir qu’il y a déjà 15 photographes qui quadrillent et défrichent la zone depuis la veille. En résumé, cette « parano » conduit le photographe, et moi avec, à ne penser qu’à sa gueule…
Chez le photographe comme ailleurs, il y a un bon pourcentage d’abrutis ou de personnes à l’éthique sinusoïdale. Ce spécimen est en général celui qui maîtrise le mieux le « moi d’abord » et il est prêt à écraser les autres pour être le seul à exister.
Je vais vous raconter quelques faits réels pour vous aider à identifier cet « individu »… et à l’éviter.
Si on est 15 photographes autour d’un terrain de sport en salle, c’est celui qui ne va vous adresser la parole (sans dire bonjour, la politesse il n’aime pas ça) que pour vous demander si le photographe amateur de l’autre côté du terrain a le droit d’utiliser le flash. Il ne partagera ni son ressenti, ni des informations techniques, mais il viendra vous parler de ce photographe qui n’est pas encore au courant des us et coutumes en vigueur en photo de sport.
C’est aussi le photographe qui s’est acoquiné avec les organisateurs d’un tournoi et s’arrange pour interdire l’accréditation de concurrents potentiels. C’est celui qui vous voit au loin prendre des photos de marmottes et qui vient petit à petit se coller à vous. Il réussit ainsi à faire fuir les marmottes et vous sape des heures d’approches… Il esquisse pourtant un large sourire qui vous fait comprendre que c’est pas de bol et qu’il a le droit d’être là pour photographier comme bon lui semble.
La situation difficile du monde de la photo tempère un poil ces comportements égoïstes et excessifs. De nos jours, l est compliqué de vivre de la photo ou même d’exister. Parfois, on peut être tenté par quelques raccourcis. Mais ça n’excuse pas tout…
Cela dit, si j’en suis à mon niveau aujourd’hui, c’est bien parce qu’il y a eu quelques personnes pour me conseiller ou pour me transmettre des contacts. Ces personnes existent et j’essaye de faire partie de leur « clan ». Même en essayant de garder un bon esprit, il est difficile de toujours jouer collectif. Il faut savoir doser et distiller les conseils à bon escient et surtout aux bonnes personnes.
La « parano » et le besoin d’être dans sa « bulle » pour tisser sa toile, éloignent le photographe du reste du monde. Beaucoup ne vous accorderont pas une seule seconde d’attention et penseront que vous n’avez qu’à vous débrouiller à trouver l’information tout seul. Heureusement, il existe une multitude d’excellents photographes qui ne sont pas avares de conseils, mais je sais aussi qu’ils en gardent sous la semelle et ils ont bien raison. 😉
[…] Autre point positif, le public auquel je m’adressais à Talence n’est pas un public de photographes avertis. En tout cas pour la grande majorité des personnes qui sont venues me voir. Du coup, les rencontres étaient moins impersonnelles. Les gens voulaient vraiment me découvrir et comprendre ma vision de la photo. Entre photographe, le dialogue n’est pas aussi passionné, pourtant il le devrait. Mais là encore, on se retrouve dans un schéma particulier dont je vous ai déjà parlé (En photo c’est chacun pour sa gueule). […]
[…] Précédemment, j’ai déjà quelque peu évoqué la situation actuelle du monde de la photo (En photo c’est chacun pour sa gueule !). Je remets le couvert sous d’autres angles […]
Bjr Mickaël,
Super article, je vais le faire lire à ma fille, pour ne pas qu’elle se décourage! !!!
Le meilleur moyen de pas se décourager c’est de faire ce qu’on aime faire par passion. Sinon ça peut vite devenir très décourageant. 😉
Bonsoir, effectivement la bannière est plaisante, pour être « à cheval » sur deux générations et après une vie auprès du public, je vous rassure, en tout les maîtres restent les maîtres, ils peuvent distiller sans crainte leurs connaissances, rare sont les élèves qui deviennent des maîtres qui donneront eux aussi sans crainte…Et dans votre métier d’art, la technique ne vient servir que la sensibilité de l’artiste et son humanité unique. Alors oui, donnez et donnez encore, c’est une immense satisfaction pour vous et tous ceux qui recoivent. Bonne continuation.
Merci beaucoup. 😉
J’ai du stock à distiller, tout va bien !
[…] N°2 : En photo c’est chacun pour sa gueule ! […]
Tres interessant ce site… et cet article aussi. Je n’ai jamais eu a faire avec ces niveaux de « concurrence », loin de la, et de toute facon, je suis geographiquement assez isolee- donc pas d’effet « raisin » pour moi! – mais cela permet de voir les choses differemment et de mieux comprendre les reactions de certains.
Bravo en tout cas pour ces belles photos!
Merci beaucoup. 😉
Bonjour et bravo pour cet article qui me donne à réfléchir.
Autant je suis sure de ne pas faire partie de ceux que l’on viendra embêter à demander des conseils vu mon niveau autant je me demande, du coup, si je n’ai jamais pris la tête à quelqu’un avec mon amour de la photo, ma soif d’apprendre, ma curiosité… lol !!
Dorénavant je ferais attention aux » grains de raisin » (j’adore cette comparaison) qui m’entourent
Coco
Pour un bordelais, la comparaison avec les grains de raisin je pouvais pas la louper. lol
Merci à toi. 😉
Bonjour Mickaël,
Bon article qui soulèvera bien des coeurs !! Je ne parlerais pas d’égoïsme mais de sauvegarde de ses acquis – et à quel prix parfois : je ne parle pas financiers mais de chasse à l’info bien dure à obtenir comme tu le soulignes -.
Est-ce l’apanage des seuls pros ? Je ne pense pas. Qui, quel que soit le domaine, partagera sans compter ses infos ? Qui refilera ses bons trucs ? L’innocent(e) (comme moi … LOL) qui pensera être payé(e) en retour par de bons plans. Il lui faudra beaucoup de désillusions pour se rendre compte que finalement, c’est beaucoup chacun pour soi.
Quelqu’un pourra vous paraître bien aimable et coopérant en vous distillant (mais cela, seul lui/elle le sait héhé !!) des conseils, des infos parfois avec moults détails insignifiants ou qui se révèleront incomplèt(e)s et vous feront grincer des dents car OU chercher l’info dont il a besoin ??? M. Google lui fera attraper des cheveux gris à coup sûr et comme Maître Renard, il jurera qu’on ne l’y reprendra plus … jusqu’à la prochaine fois … lol.
Merci pour le sujet !
nikon (amateur 100%).
C’est pour ça que je ne me met pas dans la démarche de mentir aux gens, parce que je ne suis pas vicieux. Mais j’en connais qui ne se gènent pas ou alors ils ignorent totalement les autres ce qui n’est pas mieux…
Merci pour ton avis et ton passage sur le blog. 😉
Salut Mickaël,
Bien sympa ce point de vue, et certainement très réaliste par rapport on marché de la photo pro. c’est ce que j’appel le TPMG (tout pour ma gueule…) LOL.
Quand les intérêts financier entrent en jeux et que la concurrence existe, ce type de constat et valable pour toute activité professionnel, non ?
De même je trouve que les questions que tu pose au début de l’article sont aussi valable pour un grand nombre d’activité ou’ la créativité prend une grande part ( peinture, sculpture, littérature…etc). L’isolement peut être une nécessité pour ce concentrer , trouver l’inspiration ou approfondir un travail de recherche.
En revanche l’égoïsme est il vraiment une nature chez le photographe !? Dans un cadre professionnel ou l’argent, l’exclusivité sont a prendre en compte je suis bien d’accord avec toi ! c’est une sorte de secret de fabrication que défend le photographe… mais cela est de bonne guerre, la concurrence est si dure , le marche si restreint et les gents sont de plus en plus sans scrupule devant le gain, que je peu comprend parfaitement un photographe pro ne souhaitant pas partager des informations critique qui peuvent nuire a sont business ( comme pour un grand nombre d’autre profession)… Mais dans un cadre purement artistique devons nous parler d’égoïsme ??? je ne pense pas car ici il n’y as pas d’attachement excessif porté à soi-même et à ses intérêts, au mépris des intérêts des autres ?
C’est pour cela que je pense que ton édito soulevé de bonne questions, mais abordées d’un point de vue professionnel ! il me manque l’autre approche… 😉
En tout cas merci pour le sujet ! toujours très passionnant de débattre autour de ce type de sujet 😉
A+
vincent
(seven)
Je comprends ton point de vue, après dans ma pratique de la photo, je suis peut-être plus amené que toi à voir ce genre de comportements. C’est pour ça que je pense que ce n’est pas le simple fait des professionnels. Sur des rencontres sportives, y a parfois de parfait amateurs (dont certains équipés de leur plus beau téléphone) qui me bouge ou me gène pour prendre des photos sans se poser de questions. Parce que ce qui compte le plus pour eux c’est de « réussir » leur photo et rien d’autre. Après l’égoïsme, ce n’est pas un mal qui ne touche que la photo, ça serait trop beau. Et je suis d’accord pour dire que dans une démarche purement artistique normalement on voit moins ce genre de chose. Encore que j’ai déjà vu des photographes faire annuler des expositions d’autres photographes sans qu’il y ait de démarche commerciale ou professionnelle dans l’histoire. Juste histoire de marcher sur tout le monde quoi…
En tout cas merci d’être passé ici et d’avoir laissé un long et intéressant avis sur la question, ça fait plaisir. 😉
Ps : J’espère que de ton côté les soucis sont derrière. 😉
Bien ficelé ton nouvel article. Effectivement, une part non négligeable de psychologie paranoïaque nous accompagne souvent à nous de savoir faire la part des choses.
Merci. 😉 Et oui on est tous plus ou moins atteint de cette maladie.