Quel est rapport entre Kévin Mayer et ma vie… de photographe de sport ? Pourquoi m’a-t-il tué ?
Replaçons l’évènement dans le contexte. Ce week-end, les 15 et 16 septembre 2018, j’étais présent pour suivre la 42ème édition du Décastar.
C’est une compétition internationale qui a lieu chaque année à Talence en Gironde. Elle oppose les meilleurs athlètes des disciplines combinées que sont l’heptathlon (7 épreuves) pour les femmes et le décathlon (10 épreuves) pour les hommes.
Vous l’avez peut-être vu aux infos (je l’espère) : Kévin Mayer a explosé le record du monde de la discipline avec 9126 points !
Ce que vous ne savez pas, c’est que sa victoire va changer ma vie de photographe de sport de façon irrémédiable…
Ok c’est un bogoss, mais n’empêche qu’il m’a tué ! Lisez mon texte, vous allez enfin découvrir la vérité !
Kévin Mayer avait tout prévu…
Notre meilleur décathlonien français, Kévin Mayer, est champion du monde en titre en plus d’être médaillé d’argent aux derniers JO de Rio. Logiquement, il est arrivé favori de la compétition à Talence. D’autant, qu’il s’est complétement loupé aux championnats d’Europe à Berlin début août…
Kévin Mayer était très mécontent de sa contre performance en Allemagne. Alors monsieur est venu au Décastar avec l’idée de se rattraper… en battant le record du monde détenu par l’américain Ashton eaton ! Ce dernier est le médaillé d’or aux Jeux Olympiques de Rio et il est considéré comme un extra-terrestre dans sa discipline pour son record de 9045 points. Il est aujourd’hui à la retraite.
Bref, tout ça pour vous dire que Kévin Mayer avait un plan et je ne savais pas encore qu’il allait changer ma vie de photographe de sport.
J’étais trop naïf…
On le voit très clairement… il me tire la langue !!!
Mon état d’esprit de photographe de sport avant l’affaire Mayer !
Vous allez trouver ça bête, mais quand je me rend sur une compétition sportive, en fonction de l’enjeu sportif, j’ai plus ou moins de pression. C’est automatique et je ne contrôle pas grand chose.
Si la compétition ne présente aucun enjeu, j’y vais avec assurance et joie. En revanche, sur les grandes compétitions internationales, ça va du stress mesuré au mal de ventre… Dans ces cas-là, je suis plutôt enfermé dans ma bulle et je ne transpire pas forcément la joie. 🙂
J’ai toujours peur de me louper totalement, alors je fais en sorte de me concentrer au maximum. Heureusement, avec l’expérience, je sais que je vais ramener au moins quelques clichés quoi qu’il se passe, ce qui me rassure un peu. Mais en tant que photographe de sport, je ne peux pas me contenter de clichés techniquement sympas. J’ai envie de faire de belles photos selon mes propres critères ! Ils sont effectivement un chouïa élevés, je ne vais pas vous mentir. 🙂
Pour ne rien arranger, le Décastar est une compétition que j’affectionne particulièrement. Et quand j’aime, j’ai encore plus envie de bien faire. Ce week-end, c’était ma 7ème année d’affilée sur la pelouse du stade Thouars de Talence. Dans ma carrière, j’ai déjà fait de nombreux clichés du Décastar… Du coup, pas question pour moi de ne pas faire de meilleures photos que les années précédentes !!! Ce serait une régression…
Tout ça pour vous dire que je viens sur ce type de compétition avec pas mal de pression sur le dos. C’est idiot et j’en suis conscient. Il n’y a pas mort d’homme… Je ne suis qu’un photographe de sport parmi tant d’autres et je ne suis même pas vraiment connu et reconnu pour mon travail…
Bon je suis un peu sévère avec moi, parce qu’il y a quand même beaucoup de personnes qui apprécient mon travail sur le sport et j’ai quelques ventes et parutions à mon actif.
J’ai aussi pu mesurer cette attente sur les réseaux sociaux durant tous le week-end (et même encore) ! Je vous remercie, une nouvelle fois, pour vos commentaires et vos attentions !!! 😉
A chaque compétition, je me sens tout petit face aux évènements !
Il faut s’adapter aux conditions…
Je suis arrivé sur le Décastar 2018 avec l’envie de faire de belles photos, quoi qu’il se passe. Très franchement, les conditions climatiques n’étaient pas bonnes pour moi ce week-end… Il a fait très chaud et le soleil était très puissant.
Physiquement, je ne suis pas apte à supporter, sans souffrir, ce genre de conditions pendant 2 jours, mais je fais avec. Mon problème n’est pas seulement physique. Pour les photos aussi, le grand soleil est ce qu’il y a de pire pour moi. Je n’aime pas ça et je ne sais pas bien gérer la lumière dure…
Clairement, je suis le seul photographe à regretter les températures et le temps de 2017. Mais je comprends que pour la compétition, le froid et la pluie forte ne soient pas les meilleures conditions pour les athlètes et le public. 🙂
L’autre condition qui me posait problème, c’était la place sur le terrain. Avec l’enjeu annoncé de par la présence de Kévin Mayer, les médias sont venus en nombre cette année. Sur le terrain on était entre 16 et 20 photographes et les équipes de tournage télé étaient en nombre aussi. Bien sûr, plus il y a de monde sur le terrain et plus c’est compliqué de travailler.
C’est un peu comme essayer d’être le premier à entrer dans un magasin à l’ouverture des soldes… Comme je n’aime ni le monde, ni les soldes, imaginez ma joie. 🙂
Le job d’un photographe de sport, c’est de s’adapter aux conditions, alors je me suis adapté… tout en restant dans ma bulle.
Sans m’en rendre compte, quelque chose de plus grave se tramait dans mon dos…
Une fois que la compétition est lancée, je ne me préoccupe plus que de mon propre jeu et de mes objectifs ! C’est le seul moyen, pour moi, de rester concentrer de façon positive.
Le 100m a tout changé…
La toute première épreuve du Décastar, c’est le 100m hommes. Je me suis positionné sur la ligne d’arrivée comme quasiment tous mes collègues photographes. D’une manière générale je n’aime pas faire comme les autres, mais sur le 100m, difficile de trouver un angle original et ça va bien trop vite. On verra ça pour 2019 peut-être…
Sur la ligne d’arrivée, tout le monde attendait la prestation de Kévin Mayer. On voulait savoir si sa lubie de vouloir battre le record du monde s’appuie sur un semblant de réalité.
Il a fait une course magnifique et bat son propre record personnel… et prend d’entrée de jeu la tête du décathlon. Le ton est donné !
En croisant son regard à l’arrivée, je mesure sa détermination d’un autre monde et je comprend qu’il va aller au bout. J’ai eu ce ressenti, mais je ne suis pas assez expert à ce moment-là (ni maintenant) pour m’assurer qu’il pouvait battre ce record du monde. Mais j’ai senti, à cet instant, qu’on allait passer dans une autre compétition.
Pourtant, je n’ai pas compris l’essentiel et le sale coup à venir…
La détermination et la confiance de Kévin Mayer ont fait la différence dans cette compétition. Pour les puristes, au-dessus, c’est une photo du 400m.
Tout va très vite !
Durant tout le week-end, Kévin Mayer aligne des performances exceptionnelles. Il a devancé, puis eu du retard sur le record du monde détenu par Ashton Eaton. Pour de nouveau prendre de l’avance. Épreuve après épreuve tout le monde craignait un souci physique ou une erreur, c’était presque trop beau pour être vrai.
Dans un décathlon, toutes les épreuves sont décisives et Kévin Mayer a assuré le spectacle, que ce soit sur la piste ou en communiant avec le public de Talence. En particulier, ce moment où il a fait taire le stade pour mieux se concentrer sur sa prestation sportive. C’était incroyable et j’en ai encore la chair de poule. Le stade entier s’est tût et on entendait ses pas de course sur la piste… J’osais à peine faire des photos…
Ce moment de calme intense, transige avec les moments de folie où il explose de joie. Cette rengaine atypique s’est répétée jusqu’à la toute dernière épreuve. Quand tout le monde a su qu’il allait le faire et atteindre ce record dit inatteignable. C’était presque trop facile pour lui… il suffisait surtout de ne pas se blesser pour battre le record du monde.
La course s’est lancée dans un stade qui ne vibrait que pour lui. Depuis quelques épreuves déjà, seules ses performances et ses passages attiraient l’attention générale. Tout le monde était fasciné par Kévin Mayer.
Il l’a fait ! Au bout d’une course intense, il a explosé le record du monde et devient le 3ème décathlonien de l’histoire a passer la barre des 9000 points. Le stade explose, tout le monde est content, ses proches sont là, une partie de l’équipe de France d’athlétisme aussi, les bénévoles de Talence sont aux premières loges et les photographes aussi. Il y a des sourires, des rires et des pleurs… de joie.
Difficile de se contenir dans cet instant phénoménal et une performance… historique !!!
A chaque fois (ou presque) qu’il a fait taire le stade, Kévin Mayer a créé l’exploit sur le terrain !
Historique et après ?
Historique… historique. Ce mot a résonné dans ma tête alors que je n’étais qu’à quelques mètres à peine de Kévin Mayer qui embrassait ses proches. C’était difficile de ne pas avoir la larme à l’œil à ce moment-là. Surtout quand on a pu jauger les efforts fournis, tout en étant très proche des sportifs pendant deux jours… et des heures à les photographier.
Sur place, je ne prenais plus de photo, je voulais juste profiter du moment. Kévin Mayer était tout proche et pendant un instant, nos regards se sont croisés et j’ai enfin compris…
J’ai suivi pendant deux jours complets une compétition qui va rester dans l’histoire du sport !
Ça paraît fou à lire, d’autant que j’imagine que Kévin Mayer n’aura pas eu toute l’audience qu’il mérite pour son exploit. Cela dit, je n’ai pas la télé, alors je ne peux pas en juger à l’instant t.
J’ai eu la chance d’être là et de photographier ce grand moment. J’en suis très fier, mais un tel exploit ne se reproduit pas tous les jours. Je me suis alors demandé si j’avais atteins ou non le point culminant de ma vie de photographe de sport.
Et si jamais je ne pouvais plus jamais ressentir et vivre de telles émotions ? Est-ce que Kévin Mayer m’a tué ?
Quand Kévin Mayer explose de joie, ça déménage !!!
Conclusion
C’est assez rare chez moi, mais je suis très fier d’avoir été là au bon endroit et au bon moment. J’ai suivi et photographié le sacre de Kévin Mayer qui a battu le record du monde de décathlon ! Quoi qu’il se passe, on ne pourra pas me le retirer.
Mais cette victoire m’amène à me poser des questions sur ma « carrière » de photographe de sport. Est-ce que je vais connaître de nouveau des moments aussi forts ? Si oui, dans quelles conditions ?
Il faudra forcément que ce soit sur une très grosse compétition. Un championnat d’Europe, un championnat du monde ? Les Jeux Olympiques ? Ça j’en rêve depuis tout petit. J’ai toujours voulu y aller pour vivre cette compétition pleinement.
Avant c’était en tant que sportif. J’étais fan de basket et de la Dream Team (enfin moi j’ai plutôt vu les versions après Jordan). Mais j’ai vite compris que mes chances étaient très limitées.
Depuis quelques années maintenant, il me prend à rêver parfois, d’avoir une accréditation officielle aux Jeux Olympiques. Hiver ou été, peu importe, j’aimerais juste avoir accès aux compétitions en tant que photographe de sport. 🙂
Mais voilà, à l’heure actuelle, le rêve est bien loin… Les places sont chères et seuls les photographes ayant une carte de presse peuvent y accéder. Et encore à condition de faire partie d’un média qui a les moyens financiers et qui compte à l’échelle du monde.
Après, y a plein de malins qui sont déjà en train de se placer pour Paris 2024, en rendant plein de services gratuits aux Fédérations nationales, aux sponsors et à je ne sais qui encore. Pas sûr que ces stratégies payent…
Ce qui est sûr, c’est que je ne les emprunterai pas, je suis malgré moi trop intègre pour en arriver-là. Si je dois un jour vivre ce rêve, ce sera à la régulière et pour mes qualités de photographe, pas pour mon talent de cireur de pompes !
Bref, merci Kévin pour le bonheur apporté et l’exploit phénoménal, mais tu m’as quand même un peu tué !!! 😉
Ps : Vous pouvez voir une courte sélection de photos de la compétition ici : https://mickaelbonnami.com/project/decastar-2018-kevin-mayer/
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A très bientôt !
Bravo pour cet article où l’on ressent bien l’intensité du moment vécu.
Je me suis aussi posé aussi la question (notamment pendant des concert de blues !) : faut-il photographier à tout prix pour rapporter une image exceptionnelle, ou vivre le moment et profiter de cette émotion intense que l’on ressent ?? Je pense que comme tu as fait, il faut vivre… ou alors être très très bon pour arriver à faire que son émotion se transcrive dans sa photo… ??
Merci pour ce commentaire. 😉
L’équilibre entre photo, plaisir et souvenir est souvent difficile à gérer et le plus dur c’est toujours de renoncer à la photo. Mais plus d’une semaine après, je ne regrette toujours pas mon choix. 😉
A très bientôt !!!
Superbes prises, j’aurai voulu y être, quel exploit ! Tu as beaucoup de chance d’y avoir été. La photo où il tire la langue m’a bien fait rire. J’espère que tu pourras aller aux JO un jour et surtout garde ton intégrité !
Merci beaucoup. 😉
Oui c’est un vrai exploit et il mériterait la couverture médiatique qui va avec/
Pour les JO, ça reste dans un petit coin de ma tête, mais ça me paraît assez compliqué quand même. On verra bien, je ne pensais pas un jour vivre de tels moments, alors qui sait. 😉
Bon travail photo ( comme d’ habitude te concernant !) dans la famille « Mayer » je connais mieux Vivian ! Fantastique record
Amicalement
Merci beaucoup, c’est très gentil. 😉
Du coup, au moins, je ne me mets pas la pression pour rien à chaque fois. 🙂
A très bientôt !!!
Très bel article où l’on ressent cette émotion et cette fierté ressenties durant tout le week end et qui sont totalement légitimes. Ils sont précieux ces moments là et motivent tellement. Et les photos sont superbes. Je suis admirative des photos de sport et les tiennes vont droit au but, si je puis dire, on est dans l’instant vraiment, l’image est figée mais l’action est présente.
Merci beaucoup, c’est tellement plaisant de lire de tels commentaires. 😉
Ça restera mon meilleur souvenir de photographe, j’espère avoir la chance de voir mieux encore un jour, qui sait…
Pour les photos, j’en ai pas mal d’autres en stock, j’espère qu’elles plairont autant. 😉
Sinon, sur le portfolio publié, dont je met le lien à la fin de l’article, y a une photo dynamique à la fin. 😉